Le mot digital a cela de magique qu’il contient deux orientations qui convergent aujourd’hui : digit veut dire chiffre en anglais, et digital se rapporte au doigt en français. Retour sur un rapprochement non spontané qui marque l’organisation des entreprises modernes.

Le digital n’est pas le numérique et le numérique n’est pas synonyme d’informatique. Mais il y a bien une évolution entre ces termes à partir d’une base anciennement commune. Pour autant, confondre ces concepts revient à ne pas avoir perçu comment une informatique mécanique s’est enrichie d’une dimension supplémentaire essentielle : le client.

Une histoire parallèle

Lorsque l’informatique naît, il s’agit d’automatiser des tâches répétitives. En créant le premier ordinateur, Alan Turing cherchait à déchiffrer un code plus vite que ne pouvait le faire l’esprit humain. Sa machine se destinait donc naturellement aux tâches mécaniques pour enrichir une base de données et effectuer des calculs rapidement. C’est donc une informatique nécessitant des investissements importants. Elle est donc initialement l’apanage des grands groupes et, pour gérer sa complexité, elle implique un fonctionnement des organisations en silo avec une Direction des systèmes d’information distincte de la Direction des Opérations ou de la production.

L’âge du numérique est venu lorsque l’interface entre l’homme et la machine s’est imposée. Microsoft et Apple vont proposer des systèmes d’exploitation – operating system – qui sont des surcouches pour justement aider l’utilisateur à gérer la machine. Les débuts d’internet (et avant du Minitel en France) vont dans le même sens : offrir une interface cette fois au client final du système d’information de l’entreprise pour qu’il puisse visualiser de l’information ou transmettre des demandes.

Le digital va plus loin dans la relation jusque là équilibrée entre l’homme et la machine en plaçant l’utilisateur en majeur. On parle de digital, car cette évolution s’impose avec des interfaces tactiles symbolisant l’intuitif de l’usage des tablettes et autres smartphones.
Un nouveau vocabulaire apparaît au sein des DSI d’entreprise : web design, UX, méthode agile pour traduire respectivement une interface qui s’adapte à l’appareil choisi par le client, une ergonomie de l’interface qui s’adapte aux usages du client, une prise en compte des usages pour construire une expérience qui satisfasse les attentes du client. En bref, dans le digital, la technique informatique est devenue secondaire au profit de cette expérience client qui mobilise toutes les énergies.

Parallèlement, une évolution comparable intervient autour des produits conçus par l’entreprise. Le produit est historiquement au centre des prérogatives des services marketing : concevoir, distribuer, promouvoir et évaluer son bon prix sont les fonctions de tout bon professionnel du marketing (les fameux 4 « p »). Puis le marketing a évolué en s’enrichissant d’une nouvelle prérogative autour de la qualité du service ou du produit délivré.

C’est la naissance des Départements Qualité dans les entreprises pour s’assurer de l’excellence du service de production et du service après-vente. Le produit devient une composante d’un processus où il est la composante centrale. Dans l’industrie, le service qualité est fondamentalement une fonction liée à la production alors que pour les sociétés de service, il est attaché au Service réclamations en relation avec le service rendu. L’apparition d’une industrie de l’internet, combinant Industrie et Service, a imposé de s’intéresser à l’ensemble du processus vu du client : de la phase d’information à la phase de sélection, d’achat puis d’usage et d’évaluation. On parle de parcours client autour d’irritants ou de points de douleur.

Expérience client et parcours client sont en fait une seule et même réalité. Une révélation du 21e siècle. Comme si enfin ceux qui produisent ou opèrent le service au sein de l’entreprise et ceux qui cherchent à le vendre se retrouvaient enfin dans une cause commune.

Une mise en cohérence du fonctionnement interne

Et c’est bien cela la révolution du digital : un rapprochement qui concerne l’ensemble des processus de l’entreprise et évidemment pas seulement la démarche de commercialisation. Le digital n’est pas le e-commerce ou un canal de vente supplémentaire. Le digital est une approche symbiotique de l’entreprise et du client. C’est la grande réussite de ces entreprises qui se sont imposées dans leur secteur sans jamais en posséder les actifs : Uber sans taxi, Airbnb sans hôtel et Facebook sans média. Ils maîtrisent parfaitement le lien entre client et processus. Le produit est secondaire.

Netflix l’a bien compris lorsqu’il bâtît son offre initiale non pas avec les meilleurs films ou les plus récents, mais avec un algorithme de recommandation pour répondre à la question : qu’est ce que je vais regarder ce soir qui va me plaire, plutôt qu’ »ici on offre des programmes premium », comme continue à l’affirmer Canal+.

La conséquence pour les entreprises est de s’interroger sur leur organisation pour s’adapter à cette réalité concurrentielle et aux nouvelles exigences des clients. Il faut offrir un service « sans couture » aussi bien du point de vue du client que de l’entreprise. Ainsi les entreprises de service qui disposent encore d’un organigramme distinguant une Direction des offres et une Direction de la distribution doivent-elles se poser la question de sa pertinence. Demandez à Amazon si son site est un produit ou un moyen de commercialisation. Les entreprises nées dans le digital l’ont spontanément compris : le produit et sa commercialisation sont intimement liés. Chez AWS, c’est la culture du « run-what-you-build ».

C’est ainsi que sont nés aussi de nouveaux modèles économiques. Le freemium et la commercialisation à l’usage pouvaient difficilement venir d’une grande entreprise qui distinguerait conception des produits et distribution. Dans les banques, c’est cette même difficulté qui fait passer la plupart d’entre elles à côté de la révolution de la banque virale : cagnotte, paiement P2P, carte à solde partagé sont autant d’idées récentes qui leur permettraient de foisonner autour de prospects déjà engagés sur leur produit. Ce terrain est donc occupé par des startups qui sont parties du besoin, jamais du produit. Ce n’est pas un hasard si l’on voit apparaître aujourd’hui, et pas hier, quelques innovations managériales qui secouent les valeurs du collectif : entreprises libérées (confiance), holacratie (responsabilité), pizza team (cohésion), méthode SAFe (agilité) et autre open innovation (créativité).

L’entreprise digitale doit non seulement adopter une organisation qui abandonne les silos d’antan, mais aussi mettre en oeuvre une série de réformes de ses pratiques :

  • Le lancement d’un produit pourrait avantageusement partir d’une analyse ethnographique des comportements des clients pour produire des services en phase avec les attentes souvent non exprimées ;
  • Les tableaux de bord doivent d’abord relever les indices de satisfaction client et le tunnel de transformation de ses processus ;
  • Les Comités de pilotage des projets devraient s’intéresser au moins autant aux livrables en termes d’expérience client que le suivi des délais et des budgets.

En bref, les entreprises sont maintenant à même de faire converger leur fonctionnement interne et leur fonctionnement orienté vers le client. Elles en sont désormais persuadées, mais bien peu ont franchi le pas dans leur organisation. Pour le moment.

L’auteur

Bruno Panhard

Associé Fondateur Adaliance

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